L’hiver dernier, le propriétaire des verreries des Aliberts (Minerve), M. Bruno Cianfarra, a signalé à des membres de Menerbés l’existence d’un important dépôt de débris de pâte de verre et de fragments de creusets qu’il avait trouvé dans le comblement des galeries de la verrerie.
Il a mis ce dépôt à la disposition de l’association Menerbés pour une étude archéologique. L’association s’est alors adressée à des archéologues spécialistes des verreries, Isabelle Commandré, archéologue de l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives, qui a soutenu en 2014 une thèse d’archéologie à l’Université d’Aix-Marseille sur l’artisanat du verre en Bas-Languedoc du XVIe au XVIIIe s., et Jordi March, chercheur associé au laboratoire de recherche archéologique médiévale et moderne en Méditerranée (L3M, UMMR 7298 Université d’Aix-Marseille-CNRS), qui travaille sur l’artisanat du verre en Roussillon aux époques médiévale et moderne.
Isabelle et Jordi sont venus dans un premier temps visiter la verrerie pour déterminer l’âge des bâtiments et en préciser l’usage exact, puis ils ont accepté de revenir à Minerve le 18 juin dernier pour partager leurs connaissances avec les adhérents de Menerbés.
Nous nous sommes donné rendez-vous à 16h30 au domaine des Aliberts, et de là, nous sommes partis à pied à la verrerie.
La visite des bâtiments a été commentée par Isabelle et Jordi. Ils nous ont fait revivre l’aventure industrielle qui a permis l’implantation de ce site. On sait que cette verrerie, active de 1850 à 1870, a été créée par un investisseur, un médecin qui habitait le domaine des Aliberts, M. Jean-François Loup. La verrerie devait employer un peu plus de 20 verriers et des ouvriers qui alimentaient le four. Le four était mis en chauffe avec du lignite présent sur le site. La verrerie des Aliberts a été implantée là précisément parce qu’on y exploitait du « charbon de terre », dont les galeries s’ouvraient à quelques dizaines de mètres des bâtiments.
Des fours verriers plus anciens ont existé à Minerve, alimentés au bois. En 1663 le verrier Isaac de Robert fut condamné à 1000 livres tournois d’amende pour avoir dévasté la forêt du consulat de Minerve pour les besoins de son four (il faut dire qu’une campagne annuelle de cuisson demandait la combustion de 2 à 3 ha de forêt).
La première étape de la fabrication du verre consistait en une précuisson pour amorcer la fusion des matières premières qui composent le verre (roches siliceuses concassées, quartz, silex ou grès) : cette pâte intermédiaire s’appelle la fritte.
Le foyer était au centre d’un souterrain en forme de croix, conçu pour bénéficier d’un tirage permanent, qu’on régulait au moyen de portes actionnées par les ouvriers responsables de la chauffe.
Au-dessus du foyer se trouvait une sole ajourée qui transmettait la chaleur au four où l’on plaçait les creusets contenant la pâte à verre en fusion, portée à une température de 1700°C. Des ouvertures permettaient aux ouvriers de récupérer le verre en fusion dans les creusets et lui donner forme en les soufflant à la canne. Les objets finis étaient ensuite déposés dans un four de recuit, situé au-dessus du four principal, pour refroidir progressivement le verre en évitant son éclatement.
Les produits finis, des dame-jeanne, des verres à boire, des vitres, des pots à miel et à confiture, des carafes, des huiliers, et surtout des bouteilles, étaient conservés dans des galeries de stockage, puis vendus. Ce type de bouteilles, de couleur sombre, produit en masse, permettait l’exportation du vin par des péniches sur le canal du Midi : l’embouteillage sur les lieux de production changeaient ainsi les us et coutumes du monde viticole, le vin bouché se substituant peu à peu au vin transporté en tonneaux.
Nous sommes revenus à pied aux Aliberts, pour assister à 18h à une conférence dans la grande salle voûtée du domaine, « l’artisanat verrier médiéval et moderne à la croisée des sources archéologiques et historiques » que nous ont présentée avec talent et enthousiasme Isabelle Commandré et Jordi March.
Pour clôturer la soirée, nos hôtes, Barbara Schulz et Wendel Müller, nous ont offert le verre de l’amitié.
Cette soirée si agréable et si instructive, n’est que le point de départ d’un travail de recherche sur les verreries de Minerve, du Moyen Age au XIXème s. Dès le lendemain, Jordi était à pied d’œuvre pour étudier les fragments de creusets. Il a pu déterminer ainsi que ces fragments proviennent de sept creusets différents, il a fait les prélèvements nécessaires pour une analyse en laboratoire afin de déterminer la composition et l’origine des matériaux. L’enquête va avancer, et nous permettre une connaissance plus fine de notre histoire et de notre patrimoine. Un grand merci à Bruno Cianfarra qui a permis le lancement de ce projet, à nos adhérents qui sont venus nombreux, malgré l’heure et la date, et à nos hôtes, pour leur excellent accueil.
Crédit photo Christian Douillet, Marie Vallée