Journées scientifiques en Minervois 2018: le bilan

 

Le succès des Journées scientifiques en Minervois s’est confirmé avec l’édition 2018 qui a eu lieu les 4 et 5 novembre dernier à Siran, dans l’ancienne « Maison du Minervois », aujourd’hui salle de conférence « high tech » de la mairie.Ce sont près de 800 entrées qui ont été cumulées au fil des sept conférences, des deux visites et de l’atelier d’archéologie expérimentale. Un plein succès qui confirme l’intérêt des habitants du Minervois, anciens et nouveaux, pour l’histoire et le patrimoine de leur territoire.

Un voyage dans le temps extraordinaire à travers huit mille ans de diverses activités humaines. Le dynamisme des chercheurs et la clarté de leurs explications ont emporté l’adhésion du public.

Cela commence avec une synthèse brillante et limpide du néolithique en terre d’oc que nous a présenté Jean Vaquer, directeur de recherche émérite au C.N.R.S. La « révolution » néolithique c’est l’immense bouleversement que l’agriculture et l’élevage ont apporté aux hommes de la préhistoire. Il a fallu trois mille ans pour que les populations porteuses de techniques inventées au Proche-Orient arrivent chez nous, au rythme de 25 km par génération ! Les migrants agriculteurs et éleveurs sont bien plus dynamiques que les populations locales de chasseurs cueilleurs. Ils s’installent à l’embouchure de l’Aude avec chèvres et moutons vers 5800 avant notre ère. Les archéologues ont retrouvé leurs traces à Portiragnes. Certaines communautés autochtones adoptent les techniques des nouveaux arrivants (poterie, textile), alors que parfois de petits groupes de néolithiques isolés retournent à l’état de chasseurs cueilleurs. Des réseaux commerciaux se structurent : l’importation  d’obsidienne de Sardaigne, par exemple, prouve une navigation régulière. Des colporteurs apportent du silex blond du Vaucluse jusqu’en Catalogne. Jean Vaquer évoque ensuite l’évolution de l’habitat sédentaire dans notre région et conclut qu’à la fin du néolithique les habitats fortifiés qu’on y trouve marquent déjà l’existence d’une élite sociale dont les pratiques se distinguent du commun.

La parole est alors au public et les questions fusent, sur la navigation, la démographie, les pratiques funéraires, la grotte de l’Aldène, le chalcolithique et l’âge des métaux, l’habitat en pierres… Un intense et fructueux moment d’échanges.

La conférence suivante nous fait franchir les siècles et Alexis Corrochano, docteur en archéologie, présente la question des Wisigoths à travers les nécropoles du Midi de la Gaule, une conférence qu’il a préparé avec son collègue Jérôme Hernandez, malheureusement absent.

Il définit les contours de l’Antiquité tardive, entre Rome antique et Moyen Age, et explique l’entrée des « Barbares » dans l’histoire grâce aux traités signés avec Rome. Il nous présente la culture archéologique du « Barbaricum » et ses marqueurs dans le mobilier funéraire (fibules à ressort, broches doubles, peignes à dos arrondis) que l’on retrouve dès le III e s. en Pologne et au bord de la mer Noire. On peut suivre la diffusion de ces objets en Crimée, en Tchéquie, en Italie dans la deuxième moitié du Ve s. On les trouve aussi dans des tombes en Gaule en dehors du royaume wisigoth, avec des plaques-boucles de ceinturons et des broches à tête d’aigle, et chez nous à l’intérieur du royaume wisigoth, notamment à Villarzel-Cabardès, Mailhac, Lastours, Routier dans l’Aude, à Minerve, Marseillan, Tressan, dans l’Hérault. Alexis Corrochano nous fait part des découvertes les plus récentes dans le Midi. Il évoque l’évolution des pratiques archéologiques, le développement de l’archéo-anthropologie et la précision accrue de la datation au carbone 14. Aujourd’hui l’analyse physico-chimique des éléments des parures montre que les micro-perles vertes et la plupart des grenats étudiés proviennent d’Inde ou de Sri-Lanka. Il évoque ensuite les crânes qui parfois montrent une déformation due au port d’un bandage serré sur le crâne qu’on pratiquait sur de jeunes enfants. Cette étrange pratique est une mode que les Wisigoths et aussi les Francs empruntèrent aux Huns. Parures et déformation crânienne sont donc des marqueurs culturels, dont le caractère est probablement ethnique au départ, peut-être social ensuite ? Les élites locales les ont-elles adoptées ? Peut-on définir qui est wisigoth dans une tombe et qui ne l’est pas, et jusqu’à quand cette interrogation est pertinente ? Le débat est encore largement ouvert.

Là aussi les questions sont aussi nombreuses que pertinentes, portant sur les techniques métallurgiques, les rapports entre l’art wisigothique et byzantin, l’usage des fibules, les nécropoles gallo-romaines, le choc des cultures et des religions…

Puis on quitte Siran pour le pique-nique…qui réunit tout le monde autour des dolmens des Lacs (Minerve) et permet ensuite à Jean Vaquer de dialoguer avec le public sur les pratiques funéraires au néolithique.

On se retrouve ensuite au musée de Minerve où le président d’honneur de l’association Menerbés, Jean-Luc Séverac, explique dans quelles circonstances il a trouvé au dolmen des Lacs une épingle cruciforme néolithique : cette découverte fut le déclic à l’origine de la création du musée archéologique de Minerve, sous l’égide de M. Lauriol, dans les années 1960. Jean Vaquer commente les vitrines consacrées au néolithique, Alexis Corrochano celles consacrées à la nécropole wisigothique du Pech (Minerve).

En fin d’après-midi, le public revient à Siran, où Dominique Timsit, archéologue et céramiste, présente l’argile comme une vieille compagne de l’homme : il l’utilisait déjà, crue, il y a 35 000 ans pour tracer des dessins au doigt, il y a 15 000 ans pour fabriquer des sculptures de bison de 60 cm de long, pour monter les murs d’une habitation… Mais la technique de la cuisson de l’argile fait son chemin : 27 000 ans avant notre ère en Tchéquie un potier fabrique la Venus de Dolni Vestonice en utilisant un mélange d’argile et de poudre d’os capable de cuire à faible température. On prépare d’abord l’argile : on trie, on ajoute un dégraissant. Ensuite on fabrique (sans tour : modelage, estampage, pilonnage), on décore (en creux : impression, incision ; par ajout : boutons, cordons ; par polissage). On cuit, en meule ou à la bouse de vache, qui permet une cuisson plus douce. On peur traiter après cuisson pour colorer ou étanchéifier, par exemple avec de la résine de pin passée à chaud. Les outils du néolithique : en os, en bois, en galet, pour lisser.

S’ensuit la démonstration projetée en direct à l’écran, et l’atelier où une douzaine de stagiaires se mettent dans les conditions du néolithique pour produire leur propre pot…

Simultanément à La Livinière s’ouvre l’exposition sur les plus anciens manuscrits du village à la médiathèque ouverte à cette occasion par sa responsable Hélène Arnaud, en prélude à la journée du dimanche, largement consacrée à La Livinière. Cette exposition reste ouverte au moins jusqu’à fin novembre.

Dimanche un public toujours nombreux assiste à la conférence de Jean-Luc Boudartchouk, archéologue et historien, directeur adjoint de l’INRAP (institut national pour la recherche en archéologie préventive) pour la région Occitanie.  Il présente les rapports entre l’Alaric, la montagne qui borde au sud le paysage comme on le voit depuis le Minervois, et le roi wisigoth Alaric II : la légende et l’histoire. L’histoire d’abord : les Wisigoths contrôlent la région en 412/413, mais c’est éphémère : quand ils concluent un traité avec Rome en 419, celle-ci leur accorde l’Aquitanique, Toulouse et Bordeaux, mais pas la Narbonnaise, trop stratégique. Rome s’affaiblit peu à peu et les Wisigoths lancent des raids depuis Toulouse contre Carcassonne et Narbonne ; finalement les Romains lâchent Narbonne en 475. Le roi Alaric II triomphe, son apogée se situe à partir de 480 environ, jusqu’à sa défaite par Clovis et les Francs en 507 à Vouillé. D’après l’historien des Francs Grégoire de Tours, il serait mort à Vouillé, mais d’après l’historien grec Procope, il serait mort près de Carcassonne. Or Jean-Luc Boudartchouk a récemment trouvé un élément troublant en étudiant la Chronique de Mauriac (Cantal) : un épisode intercalé dans le texte : Alaric aurait subi une embuscade alors qu’il rentrait de Narbonne à Toulouse ; les Wisigoths l’emportent sur l’agresseur qu’ils tuent, et « Alaric retourne à Toulouse et fut fait ledit assaut près de Barbairac dans la plaine de Roland ». Cet épisode ne se situerait-il pas à proximité du château actuellement dénommé château de Miramont, non loin du Pas de Roland, près de Barbaira ? S’ensuit une passionnante discussion avec l’archéologue Manuel Dudez présent dans la salle, sur la localisation possible du « château d’Alaric ».

Les deux interventions suivantes concernent les plus anciens documents écrits trouvés concernant la Livinière.

Il s’agit d’abord d’un manuscrit trouvé par un particulier, échappé d’un incendie, un rouleau dont il reste un peu plus de six mètres de long sur 16 cm de large, constitué de parchemins cousus entre eux, qui contient les dépositions de témoins, tous habitants de La Livinière, dans le cadre d’une enquête menée par les officiers royaux en 1269. En effet, certains habitants de La Livinière ne paient plus le droit de fournage aux seigneurs : cette taxe, d’un pain sur six, devait être donnée au seigneur en échange de l’usage du four seigneurial, ou four banal : c’était ce qu’on appelait une banalité. En fait ils vont au four de Bégoule (aujourd’hui le moulin de Fabas sur la Cesse) pour y faire cuire leurs pains, ce qui permet d’éviter la taxe… Ce document est présenté par Marie Vallée-Roche qui en a assuré l’étude et la transcription.

Le deuxième document est le compoix de La Livinière, le plus ancien du Minervois, daté de 1469. Il a été étudié par Marie-Laure Varroqueaux-Escoffier, aujourd’hui en charge du pôle Patrimoine des médiathèques de Sète, dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, et publié dans la revue « Histoire et généalogie en Minervois ». Un compoix est un document fiscal, l’ancêtre du cadastre en quelque sorte, dans lequel sont recensées toutes les parcelles et leurs confronts, avec la taxe qui pèse dessus. Cela permet de présenter une image très vivante de la Livinière et de son économie au XVe s.

Ces deux manuscrits sont toujours présentés dans le cadre de l’exposition qui se tient à la médiathèque de La Livinière.

L’après-midi appartenait à Marie-Elise Gardel, historienne et archéologue, qui est bien connue dans la région notamment pour ses fouilles à Lastours. Elle nous a présenté l’évolution morphologique du castrum de la Livinière, un castrum attesté au XIe s. Dans le village de La Livinière, le bâti est très dense, avec de nombreuses traces de constructions très anciennes (bases de mur en arête de poisson). Il est emblématique de ce que l’on peut voir dans de nombreux villages contemporains du Minervois, avec deux noyaux primitifs, l’un centré sur l’église, le noyau ecclésial, et l’autre autour du château, le noyau castral. A l’intérieur de ces noyaux primitifs, le réseau viaire est particulièrement étroit (1 ,70 m). Dans l’espace compris dans les anciennes enceintes du XII e s., il fait entre 2 m et 2,20 m. Ailleurs, dans les rues orthonormées du XIIIe S., le réseau viaire est encore plus large (environ 3 m). La Livinière regroupe un habitat dispersé à l’origine (Saint-Jean d’Ognon), au profit d’un castrum dynamique comme en témoigne le marché où s’échangeaient les produits de la plaine et de la montagne.

C’est ce patrimoine « très significatif, à protéger et à valoriser » que Marie-Elise Gardel a ensuite fait visiter au public dans les rues de la Livinière, en compagnie de M. Jean-Luc Garcia, adjoint au maire en charge de la culture.

A l’issue de la visite, les participants ont été conviés au vin d’honneur offert par la Communauté des communes, et organisé à la mairie de Siran, qui a  clôturé ces journées.

Le bilan de ces deux journées est extrêmement positif. L’implication des bénévoles de « Menerbés », la disponibilité d’Angélique Cocordano et de Wendy Cunnen de la Communauté des communes, l’accueil du maire de Siran, Sebastien Olivares, et bien sûr l’intérêt du public et la pertinence de ses interventions ont contribué à leur succès. La qualité des interventions a fait le reste. Les conférenciers ont joué le jeu et répondu à la thématique « découvertes d’aujourd’hui, découvertes de demain » : Jean Vaquer appelle de ses vœux l’étude de sépultures néolithiques encore intactes pour y appliquer les techniques les plus récentes sur les séquences ADN qui permettraient de connaître les lignées enterrées sous les dolmens. Alexis Corrochano, l’étude exhaustive des nécropoles et leur étude anthropologique, Marie-Elise Gardel des fouilles au castrum de la Livinière dans le cadre du programme de réhabilitation initié par la mairie. Les Journées scientifiques en Minervois poursuivent leur objectif : chercher à maintenir l’intérêt de tous, chercheurs, responsables locaux, grand public,  pour le patrimoine du Minervois.

Crédit photos: Christian Douillet et Thierry Tarbouriech