Les Journées scientifiques en Minervois 2019: le marbre, de la carrière au monument

Les organisateurs ont comptabilisé 899 entrées cumulées. les Journées scientifiques en Minervois confirment leur succès!

L’accueil est toujours chaleureux à Siran et la salle municipale du château se prête à merveille aux conférences.

Le premier exposé (Marie Vallée-Roche) a permis de faire l’état des lieux des connaissances actuelles sur les monuments de marbre de notre région à l’époque antique. Il s’agissait de renouer le fil des interventions des Journées 2017. Les techniques scientifiques actuelles permettent de comprendre d’où viennent les marbres, notamment les marbres blancs, en envoyant en laboratoire de petits fragments prélevés sur les monuments eux-mêmes. L’étude menée par Mme Brandenburg a permis de savoir qu’en Minervois, les marbres mis en œuvre dans l’Antiquité proviennent soit des Pyrénées, soit d’Italie (Carrare), soit de l’Est de la Méditerranée. Une provenance aussi lointaine ne doit pas nous étonner, car le transport des pondéreux était bien plus aisé par bateau que par la route, et donc moins onéreux. Au début du VIème s., la conquête de Toulouse par les Francs, en mettant fin à l’unité politique du royaume wisigothique, a probablement nuit au commerce du marbre des Pyrénées, également mis à mal par les incursions des Basques : la route du marbre était coupée, c’est peut-être dans ces conditions qu’a commencé l’exploitation des marbres de la Montagne Noire.

Puis Albert Dilax a présenté les panneaux d’exposition de l’association les marbrières de Caunes.

 

Au cours de la conférence suivante Géraldine Mallet a présenté avec brio et passion les sculptures en marbre de l’abbatiale de Saint Pons de Thomières.

Comme les marbres des Pyrénées orientales (Villefranche-de-Conflent, Céret, Baixas), celui de Saint-Pons-de-Thomières a été exploité au cours des siècles du Moyen Âge. Blanc ou rouge, il a servi pour la sculpture monumentale, notamment pour les tympans de l’église et les chapiteaux de son ancien cloître de nos jours dispersés.

 

Un bond dans le temps jusqu’à l’époque contemporaine, et nous voici avec Zoé Valat qui nous présente les travailleurs du marbre à Saint Pons de Thomières.

Le savoir-faire des hommes du marbre du pays saint-ponais est souvent méconnu. Peu d’archives publiques et/ou privées témoignent de cette activité mais la mémoire vive des anciens professionnels, des habitants de Saint-Pons nous apporte de précieux témoignages qui nous permettent de comprendre toute l’importance de cette activité dans le Pays. Dans la présentation des différents groupes de professionnels de la fin du XIXe siècle à nos jours, l’évolution économique des exploitations et des techniques est indissociable de celle du métier et de sa perception.

Dominique Ménard, expert spécialisé en objet d’art et de collection, nous a présenté une table d’échantillons de marbres du XIXème s. Dérivées des tables romaines selon les techniques du commesso et de l’intarsia de la renaissance, ainsi que de celles produites par la Galleria dei Lavori à Florence à partir de 1588, ou encore dès 1667 de la Manufacture des Gobelins à Paris, les tables dites ‘’d’échantillons’’ eurent leurs heures de gloire. Un exemple significatif se trouve dans celle qui fut offerte par le Roi d’Espagne à la France en 1774 munie de 108 échantillons  de marbres issues des carrières espagnoles. Les ateliers romains se sont fait une spécialité de ce genre de production, en utilisant notamment des échantillons antiques récupérés sur les monuments délabrés de la Rome antique mais aussi sur les blocs de marbre abandonnés sur le port d’Ostie.  Seule la connaissance des marbres et de leur histoire permet, à l’analyse, d’en effectuer une expertise complète. La table d’échantillons en guéridon présentée à Siran provenait de la maison Alphonse Giroux à Paris.

Aux conférences du samedi ont succédé deux ateliers, l’un de mosaïques sur marbre animé par l’atelier de Fine et l’autre, une initiation à la sculpture animé par Michel Sandonato.

Les participants pouvaient aussi choisir de suivre la visite de l’église de Siran guidée par Frédéric Mazeran, architecte départemental.

L’église Saint-Baudile de Siran, identifiée pour son grand intérêt, est un édifice Inscrit à l’Inventaire des Monuments Historiques depuis le 30 décembre 1925.

D’un point de vue historique, l’église est mentionnée pour la première fois en 1208. Elle fut détachée de l’archevêché de Narbonne en 1318, à la suite de la création du nouveau diocèse de Saint-Pons de Thomières auquel elle va se retrouvée rattachée avec nombre d’autres églises du Minervois. Son origine romane est soulignée par la conservation d’une première travée du XIIe siècle située à l’aplomb du Clocher. Cette travée  a joué primitivement un rôle de narthex d’entrée au lieu de culte. L’édifice roman va être entièrement reconstruit à la fin du XVe siècle, son chantier répondant à une nécessité d’établir un édifice plus vaste face à un accroissement des fidèles. L’œuvre de cette époque encore visible de nos jours, conserve le plan de l’édifice et ses détails d’architectures (profils d’ornementation) ainsi qu’un remarquable portail de style gothique flamboyant surmonté en partie haute de pinacles et d’un gâble.

L’église Saint-Baudile a été en partie ruinée durant les Guerres de Religion qui affectent la région durant la seconde moitié du XVIe siècle. L’édifice positionné en dehors de l’enceinte protectrice du village, voit son haut clocher au trois quart détruit. Les vestiges encore en place de ses anciennes baies campanaires, ainsi que les nombreuses reprises de maçonneries, viennent l’attester. La date de 1600 apposée au-dessus du premier niveau du clocher en façade nord, illustre cette campagne de reconstruction. On peut supposer que les dégâts occasionnés aient également affectés les parties hautes de l’église avec leurs voûtes, probablement reconstruites à la même période. Plus tardivement, au XVIIIe siècle, est lancée une modification du portail d’accès à l’église. Sa partie basse est agrandie au détriment du portail d’origine. La nouvelle porte dissimulée dans le tambour d’entrée est ainsi couverte par un arc en anse de panier. A cette même période est entreprise la modification de l’arc de tête du porche nord, sur lequel on appose la date de 1711.

Concernant l’intérieur de l’église, on manque de d’informations documentaires portant sur les aménagements successifs des XVe, XVIIe et XVIIIe siècles.

Pour l’époque la plus récente, celle du XVIIIe siècle, on peut mettre en avant un réaménagement du chœur comprenant la mise en place d’un autel majeur revêtu d’une marqueterie de marbre. Elle privilégie pour majeure partie un marbre local, celui de Caunes Minervois (Aude). L’intervention est complétée au-devant de l’autel, d’un aménagement de sol avec emmarchements délimité par un remarquable ouvrage de ferronnerie d’époque Louis XV. Une des chapelles latérales au chœur, la première, côté nord, souligne la présence d’un appui de communion comprenant balustres et main courante. Egalement réalisé en marbre de Caunes, l’élément déplacé pourrait avoir appartenu à un aménagement primitif  du chœur réalisé au XVIIe siècle. C’est certainement à cette période que devait probablement se trouver un grand retable avec représentation du saint local (Saint-Baudile), ensemble aujourd’hui disparu.

Comme dans bon nombre d’autres cas, l’église Saint-Baudile conserve plusieurs bénitiers remarquables. Le premier attribuable au XVIIe siècle, se situe en entrant à gauche dans l’église. Réalisé en marbre de Caunes, il se caractérise par un pied support d’une vasque ornée de motifs en relief représentant des godrons.

Un second bénitier de la même période est positionné à l’intérieur de la travée sous clocher. Il diffère du premier par la colorimétrie de marbre employé, qui reste un marbre local mais dont la provenance n’est pas celle de Caunes.

On note enfin pour l’intérieur de l’église, la présence côté nord, d’une remarquable chaire. L’objet mobilier dont l’intégralité des éléments sont encore en place, comprend toujours en partie haute son abat-voix. La chaire se distingue par la présence de panneaux peints à décors de faux marbre.

le lendemain 10 novembre, une assistance nombreuse se retrouvait à Siran pour les dernières conférences.

C’est d’abord la présentation par Suzanne Raynaud, professeur émérite de géologie à l’Université de Montpellier, de l’utilisation par la dynastie des Bourbons des marbres d’Occitanie pour les décors de Versailles.

Le marbre est un matériau noble utilisé depuis l’Antiquité pour construire et décorer palais et monuments. A Versailles, reprenant l’inspiration mythologique et antique, Louis XIV utilise le marbre à profusion et ses successeurs après lui. Pour présenter au Roi les divers types de marbres, disponibles sur le marché, des tables catalogues sont créées dans un atelier de pierres dures ouvert spécialement aux Gobelins. Les Bourbons souhaitent utiliser les ressources du royaume et c’est ainsi que plus de 70% du volume des marbres mis en œuvre à Versailles proviennent de carrières d’Occitanie.

Pour les décors de Versailles, les marbres sont utilisés tant en extérieur qu’en intérieur. En extérieur pour créer des colonnes, pilastres, balustres. En intérieur la variété de leur couleurs et de leur dessins permet de réaliser de splendides marqueteries de pierres sous forme de placages, dallages, rosaces, ainsi que des gaines piédouches de statues etc.. La majorité des cheminées du château sont également en marbre. Leur style et les teintes des marbres choisis évoluant en fonction du goût des souverains.

Depuis le rouge incarnat à volutes blanches en dessins très précis des marbres de Caunes – Minervois jusqu’aux camaïeux de teintes pastels en arabesques adoucies des marbres de Saint-Pons-deThomières la nature telle une céramiste a multiplié les couleurs et les dessins dans la pierre. Mais comment s’y est elle pris ? A partir de l’histoire des marbres de Saint-Pons-deThomières nous avons constaté que c’est au cœur de la pierre que se trouve la réponse.

Retour à l’archéologie avec l’intervenant suivant, Jean-Charles Balty, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, professeur émérite d’histoire et civilisations antiques.

Le sarcophage aujourd’hui conservé dans l’abbatiale de Quarante provient, selon toute vraisemblance, de Narbonne, d’où il serait arrivé en 1569 en même temps que l’inscription des flaminiques Pisentia Metella et Firmina Rusticilla (CIL, XII, 4411), remployée comme table d’autel dans une des chapelles de l’église, devant le sarcophage qui y faisait figure de « retable » — ce qui a longtemps conduit à considérer que ce dernier figurait deux femmes (le médaillon central de la cuve présente toutefois l’image d’un couple, l’homme portant la toge). Le sarcophage, cuve et couvercle en marbre de Proconnèse, appartient à une variante des sarcophages à strigiles, dont les exemplaires, plus nombreux qu’on ne l’écrit généralement, étaient ornés de cannelures droites ; on le datera du deuxième tiers du IIIe siècle de notre ère.

 

Les portraits du médaillon ont, toutefois, été retaillés aux alentours de 1570, comme l’indiquent le curieux bonnet du personnage masculin et le serre-tête de sa femme, en vue sans doute d’une réutilisation du monument comme sépulture, à l’image de ce qui se faisait couramment en Italie depuis le moyen âge. Le contexte historique invite à suggérer le nom d’une importante personnalité locale ayant eu des contacts étroits avec l’Italie du Nord comme commanditaire de cette transformation.

Enfin l’historien des carrières de Caunes, jean-Louis Bonnet, nous a ramenés vers les carrières du Minervois avec une dernière conférence.

 

En Languedoc, les premières mentions écrites d’extractions datent du début du XVIIe siècle. Jean Alibert, nommé abbé de Caunes en 1598, sollicite à Rome des sculpteurs pour prospecter le territoire de l’abbaye qui possède l’ensemble des carrières abandonnées. À partir de 1664, des intermédiaires puissants et décidés provoquent l’enthousiasme de Louis XIV pour la décoration des bâtiments royaux. Un décret royal daté de 1700 réserve exclusivement l’exploitation des marbres de Caunes au roi. L’analyse de ces documents permet de mettre en valeur l’activité des intervenants royaux, la fermeté de l’abbaye face aux prétentions du Roi, l’influence des États de Languedoc, les techniques d’extraction et de transport.

Le dimanche après-midi deux visites sur sites ont succédé aux conférences.

Ce fut d’abord l’archéologue médiéviste Sandrine Claude qui nous présenta le moulin de Biot (Félines Minervois).  Au cœur des Causses, à quelques kilomètres à l’est de Caunes-Minervois, le moulin de Biot s’insère dans une zone d’extraction du marbre griotte où l’on repère plusieurs carrières et sondages d’exploitation, des habitations de carriers et un chemin de halage des blocs extraits. Les archives d’ancien régime et révolutionnaire restent silencieuses sur ce secteur qui sort de l’ombre tardivement, dans les années 1840, avec la concession des gisements de manganèse du quartier de la Matte à un négociant de Saint-Pons, Louis Viot, et à ses deux associés. Il n’est alors pas question des carrières de marbres auxquelles L. Viot ne s’intéresse qu’à partir de 1844. Jusqu’en 1868, il est le seul concessionnaire connu des carrières qui aujourd’hui encore portent son nom et engage de fortes dépenses pour mettre en valeur ce secteur. C’est en novembre 1849 qu’il obtient de la commune de Félines la concession gracieuse, au quartier de La Matte, d’un terrain de 200m2 « impropre à toute espèce de production » pour l’installation d’une scierie pour le marbre.

Remarquablement conservé, le complexe qui se dresse sur un socle artificiel aménagé en bordure d’une éminence naturelle est entièrement réalisé à partir des déchets de taille de la carrière contiguë. Surprenante peut paraître, ici, l’utilisation de l’énergie éolienne pour activer le mécanisme, aujourd’hui disparu, des scies lisses qui entraînaient du sable et, par abrasion, débitaient des plaques de marbre d’une épaisseur comprise entre 1,5 et 2,5 cm. Ce mode d’actionnement qui, en plein essor du machinisme où déjà les perfectionnements de la turbine à eau et de la machine à vapeur atteignent leurs limites et sont sur le point d’être dépassés par d’autres énergies et d’autres moteurs, fait tout l’intérêt du moulin de Félines.

maquette du moulin de Biot exposée dans le hall d’entrée

La visite a permis de retracer l’histoire de cette concession signalée à l’abandon en 1892. Ce moulin, qui en pleine ère industrielle témoigne de la persistance de systèmes de débitage archaïques, a été également l’occasion d’aborder avec les visiteurs l’histoire des techniques.

Depuis le moulin de Biot, le public a redescendu le chemin, puis grimpé jusqu’à la carrière des Bessous où l’attendait le géologue Antonin Genna pour expliquer l’intérêt du site.

L’apéritif de clôture a été l’occasion de souligner l’intérêt de ces Journées pour le Minervois. Comme le faisait remarquer une intervenante, il y a ici plus de public que pour des conférences similaires données à Montpellier. Cela montre l’intérêt que porte la population à son territoire et à ses richesses. A l’an prochain donc, pour une cinquième édition!

Les discours de clôture ont été prononcé par Sébastien Olivares maire de Siran, Josian Cabrol et Martine Olmos pour la Communauté de communes et Marie Vallée-Roche pour Menerbés