A l’origine de « Menerbés » : les journées scientifiques de septembre 2016

Le Samedi 17 septembre 2016, à Olonzac :

l’archéologue Jean-Luc Boudartchouk a présenté l’histoire et la civilisation matérielle de la première Gothie, depuis l’irruption des Wisigoths en Narbonnaise en 412-413 jusqu’à la fin du royaume de Toulouse en 508. Ce royaume couvrait un immense territoire de la Loire à l’Espagne.

Pour mieux cerner son histoire, il y a encore des pistes à explorer : des textes peu exploités, comme les Vies de saints par exemple, parfois écrites à partir d’une mémoire proche, et qui pourront donner de précieuses indications de lieux et de dates, et bien sûr la culture matérielle, notamment les parures qu’on retrouve dans les tombes, car les Wisigoths se faisaient enterrer avec leurs bijoux et leurs ceintures, contrairement aux Gallo-Romains. Dans ce dernier cas il faudra être prudent dans l’interprétation, car l’influence de la mode, la mixité ethnique, la déplacement volontaire ou forcé de certains groupes humains peuvent fausser les données. De toute façon dès les années 560 la civilisation matérielle n’est plus aussi caractéristique, à certains égards les Wisigoths semblent se fondre dans la population locale. Les Wisigoths jusqu’en 586 pratiquaient une autre forme de christianisme que la population gallo-romaine, l’arianisme, mais cela n’a vraisemblablement pas entraîné de persécution des fidèles ni de destruction massive d’églises, contrairement à ce qui a été dit à la suite du récit de Grégoire de Tours (VIème s.), dont le but avoué était la glorification de la monarchie franque adverse.

 

Excursion au Tourril

 

L’après-midi une excursion au Tourril permit d’observer les vestiges d’une tour dont Jean-Luc Boudartchouk pense qu’elle était vraisemblablement une pile funéraire. (voir « le site à découvrir »). De là certains se sont rendus jusqu’aux vestiges qui pourraient être ceux de la Garde-Roland, un lieu clé de l’histoire d’Olonzac, d’après la conférence du lendemain.

Dimanche 18 septembre en effet, le philologue et chartiste François Ploton-Nicollet a présenté son travail sur l’œuvre d’un officier romain du Vème siècle, Flavius Mérobaude.
Fidèle du général Aetius, Mérobaude est l’auteur d’uns œuvre littéraire qui a failli disparaître définitivement au Moyen Age : la seule copie qui en restait, sur parchemin, a en effet été grattée pour en récupérer la matière première. Le parchemin coûtait cher, la pratique de le réutiliser pour copier un nouveau texte par-dessus était alors courante, c’est ce qu’on appelle un palimpseste. C’est ainsi que les moines de l’abbaye de Saint-Gall ont lavé, frotté à la pierre ponce et retaillée la peau pour réutiliser le parchemin et il a fallu beaucoup de persévérance aux érudits du XIXème siècle pour reconstituer ce qui restait de l’œuvre : seize pages au total, dont les fragments de deux panégyriques à la gloire d’Aetius et quatre petits poèmes, le tout rédigé entre 438 et 446. Le plus intéressant est un éloge du général Aetius en prose, qui relate une importante bataille livrée victorieusement contre les Wisigoths. En effet ces derniers, maîtres de Toulouse, cherchaient un accès à la mer que leur interdisaient les Romains. Le conflit avait éclaté à plusieurs reprises: ils venaient d’assiéger Narbonne en vain pendant presque un an (436-437). L’année suivante, les chroniqueurs de l’époque nous parlent effectivement d’une bataille qui auraient coûté la vie à 8000 Wisigoths mais jusqu’à présent personne n’avait réussi à localiser le lieu de cette bataille historique. Le texte étudié par François Ploton-Nicollet indique que la bataille qui se serait déroulé au « mons columbrarius », le mont des Couleuvres. Mais où se trouve ce mont des Couleuvres ?
François Ploton-Nicollet a confronté le texte de Mérobaude avec le Roman de Notre-Dame de Lagrasse, un récit légendaire du XIIIème siècle qui raconte la fondation de l’abbaye par Charlemagne. Au cours du récit, nous apprenons que Charlemagne et sa suite, en route pour Béziers, passent par Minerve, puis prennent le chemin de Capestang, « et après vinrent au mont des Couleuvres qui a pris le nom de La Garde-Roland et firent (construire) une chapelle dédiée à saint Martin », en occitan « et enapres vengron al pueg Colobrar meiron li aqui nom l’Anguarda Rotlan et feron aqui capella de sant Marti ». Il y a deux versions : l’une mentionne un « pueg » (mont) et l’autre « pont ». Or la Garde-Roland désigne aujourd’hui un domaine situé à l’est d’Olonzac, en contrebas d’une colline où se trouve des ruines qui pourraient bien dater de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Age, à proximité d’un pont (sur l’Ognon) qui commandait la route entre Béziers et Carcassonne ! La bataille entre les Romains et les Wisigoths aurait donc bien eu lieu à Olonzac…

 

conférence de François Ploton-Nicollet à Olonzac
Photo Christian Douillet

 

Ensuite Claudine Martin-Bernardini, présidente du Centre de recherche et de documentation du Minervois, a présenté le musée archéologique du Minervois, et Marie-Elise Gardel, archéologue de l’Amicale laïque de Carcassonne, a expliqué le travail d’inventaire qu’elle mène actuellement en partenariat avec le CRDM. Parmi les pièces qui ont retenu l’attention des chercheurs et du public, quelques unes provenaient du site de la Garde-Roland : une belle tête de caprin, fragment d’une vasque en marbre de Carrare, et un fragment de pilum (l’arme de jet des armées romaines) trouvé à proximité du lieu présumé de la bataille…Objet à étudier pour en confirmer la datation.

L’après-midi à Minerve Frédéric Loppe a présenté le résultat des fouilles entreprises en 2007-2008 dans le cadre de la rénovation des remparts du village.
Elles ont été effectuées au sud de l’enceinte, là où un étroit passage permettait à la population d’accéder au point d’eau situé non loin de la rivière du Brian. Plusieurs milliers de tessons de céramique se sont accumulés dans une anfractuosité du rocher, (la descente devait être glissante, et les cruches se cassaient, ou perdaient leurs bouchons !) et leur datation a permis d’avoir une idée des périodes d’occupation du site même du village. Le site, qui semble avoir été abandonné au Ier s. av. J.C., a été réinvesti à l’époque wisigothique (fin du Vème s. et début du VIème s.) Certaines céramiques de cette époque proviennent d’Afrique du Nord, ce qui témoigne de l’intégration du site de Minerve à un vaste courant d’échanges méditerranéens au temps des Wisigoths.
La visite au musée voisin, présentée aussi par Frédéric Loppe qui en a fait l’inventaire il y a cinq ans avec ses collègues de l’Amicale laïque de Carcassonne, a permis de voir entre autres ces céramiques africaines, ainsi que les objets en provenance de la nécropole du Pech (Minerve): notamment une plaque-boucle très typique des parures wisigothiques qu’ a commentée Jean-Luc Boudartchouk.

Le deuxième week-end des Journées scientifiques s’est ouvert à Félines le samedi matin 24 septembre par la conférence de Laurent Schneider qui nous a entretenus de la naissance des châteaux… avant les châteaux ! Comment se sont traduites les migrations germaniques dans le paysage ? Y avait-il des sites-refuges dans l’Antiquité tardive ? Les gens d’ici avaient-ils conscience de l’effondrement de l’empire, et jusqu’à quel point ?
Lorsqu’il évoque ces événements, Grégoire de Tours au VIème s. mentionne 21 sites fortifiés, des « castra ». Beaucoup d’entre eux seraient difficiles à fouiller, car ils ont été constamment reconstruits jusqu’à nos jours. Laurent Schneider a donc décidé de s’intéresser surtout à des sites anonymes, c’est-à-dire inconnus des textes, et abandonnés ensuite, dont le potentiel archéologique est intéressant. Son étude se concentre sur 25 sites en Languedoc-Roussillon, dont celui du Roc de Pampelune, à Argelliers, non loin d’Aniane. C’était un site fortifié, une vraie ville bâtie avec du mortier, des tuiles… Rien à voir avec un refuge temporaire. Comme Minerve, ce site construit sur le rocher a été occupé la fin du Vème siècle et dans la première moitié du VIème s., c’est-à-dire que ce site n’est pas né de l’effondrement de l’empire, mais après. Au sommet, l’église baptismale avec son bassin (on baptisait alors des adultes). A côté, un bâtiment qui servait peut-être de résidence et de lieu de réception au desservant. En contrebas, plusieurs unités d’habitation construites autour de cours centrales, comme autant de noyaux familiaux. La présence d’amphores tunisiennes et syro-palestiniennes témoigne, comme à Minerve, de l’intégration du site au négoce méditerranéen. Cela dévoile un monde rural qui n’est pas qu’agricole ! Il y a sur ce site beaucoup de forges, des ateliers d’affinage et aussi de production : de clous (fer mou) de lames, burins (acier), un savoir faire très technique, l’œuvre de professionnels. Il y avait aussi des bronziers, des verriers. Il n’y a par contre aucun vestige d’armes, comme si ce site était défensif, certes, mais pas militaire. Il semblerait qu’il s’agisse plutôt d’une colonie de mise en valeur de l’arrière pays, pour y exploiter le bois et le minerai.
Un autre site, celui de la Mallène, perché au-dessus des gorges du Tarn, présente des caractéristiques différentes. Situé aux confins entre Francs et Wisigoths, il est loin de la mer, et pourtant on y a retrouvé des amphores (certaines elles aussi africaines), qui, pleines, pouvaient peser 80 kg ! Il est dominé par une tour construite au VIème s. On y trouve la trace d’une galerie à colonnes, de thermes (qui seraient les plus tardifs découverts à ce jour en Gaule), de citernes (dont une de 180 m3), d’aqueduc… Bref un vrai palais où l’on vivait à la romaine ! On y mangeait même des huîtres, si loin de la mer ! Il faut revoir nos préjugés sur cette période, on ne peut plus parler de l’appauvrissement des élites : certes, il n’y a plus de villas luxueuses en plaine, mais des palais sur des rochers…

L’après midi une archéobalade, menée par Sylvain Durand, a conduit les participants des ruines de l’église Saint-André à celles de Saint-Martin sur le pic du même nom, permettant au public de visualiser l’investissement des sites de hauteur dans notre région.

Le dimanche 25 septembre, le matin à Oupia, Anne-Bénédicte Merel-Brandenburg présentait l’architecture des premiers sanctuaires ruraux et les usages liturgiques de leur mobilier.
L’historienne de l’art a précisé que l’arianisme, cette façon de concevoir la trinité chrétienne où le Père est supérieur au Fils, n’était pas l’apanage des Goths, mais qu’il était débattu ici plus de 50 ans avant leur arrivée dans la région, dès le concile de Béziers en 356. Elle a ensuite retracé la progression de la christianisation au IVème et Vème s. d’après les vestiges monumentaux à Narbonne, Régimont, Gléon, puis évoqué l’importance de la liturgie baptismale en décrivant la cuve baptismale de Loupian et le complexe ecclésial de Roujan.
Fréquemment le culte eucharistique fut associé à l’espace funéraire comme à Montferrand dans l’Aude. Les églises rurales à nef unique, à l’abside rectangulaire, où un arc outrepassé séparait la nef de l’espace liturgique, ne sont pas typiques de l’époque wisigothique, mais perdurent dans la région jusqu’au XIème s. L’espace liturgique était aussi protégé par une barrière ou chancel, souvent sculpté, comme celui découvert à Saint-Pierre des Troupeaux à Siran. Le culte des reliques qui se répand dès le IVème s. a suscité le réemploi des autels cippes des cultes antiques : on y creusait une cavité au sommet pour y recevoir les reliques d’un saint qu’on proposait à la vénération des fidèles. Par la suite on a créé un mobilier spécifique pour cela : des pieds reliquaires pour soutenir la table d’autel, ou des supports, plus hauts, qui servaient seulement à la vénération des reliques.
C’est un reliquaire de ce type qu’on a pu voir ensuite dans l’église d’Oupia, un magnifique exemple de 1,28 m de haut, en marbre de Carrare, dont Anne-Bénédicte Brandenburg a commenté le décor sculpté. La matinée s’est achevée à Cesseras, dans les ruines de l’église Saint-Salvy, où une restauration maladroite ne permet plus de se rendre compte du fonctionnement de l’autel reliquaire : en fait on faisait couler un liquide sur les reliques, on le recueillait ensuite dans des fioles pour emporter avec soi un peu du liquide sacralisé, c’est ce qu’on peut en conclure de l’étude du tombeau de saints trouvé rue Maraval à Marseille, où un système ingénieux permettait de récupérer l’huile qui avait été au contact des reliques pour en remplir des ampoules sacrées.

L’après-midi la dernière communication a eu lieu dans l’église de Minerve, où Marie Vallée-Roche a présenté l’autel de Saint-Rustique, le plus vieux de France, puisque l’inscription sur sa tranche permet de le dater avec certitude de 456. (voir : l’objet du mois) Il est toujours en usage liturgique.
Sur la table, une centaine de graffitis ont été plus ou moins bien gravés dans le marbre entre le IXème et le XIème s. Ceux qui ont apposé leurs signatures sont tous des personnages de premier plan. La comparaison de ces signatures avec celles des actes rédigés à la même époque permet de supposer qu’un bon nombre d’entre elles sont liées à une pratique juridique qui tire son origine dans la tradition wisigothique. D’après la Loi des Wisigoths de 654, les témoins d’une affaire portée en justice devaient se mettre d’accord sur une déposition commune, la rédiger, puis la poser sur l’autel, ensuite superposer leurs mains dessus et jurer d’avoir dit la vérité. C’est ce qui s’est produit à Minerve en 873 où s’est tenu un procès public, les signataires de l’acte sont des personnages qui ont signé aussi dans le marbre de l’autel. Plus de quarante autels, presque tous situés en Catalogne ou dans notre région, conservent des graffitis semblables, qu’on peut associer à des procédures publiques. Ils pourraient témoigner de l’influence de la culture juridique wisigothique jusqu’au milieu du XIe siècle.